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Lhassa brûle, mais surtout d’envie de liberté...
18/03/2008

J’ai passé en ce vendredi 14 mars 2008 la journée la plus intense et la plus violente de toute ma vie. Je pèse mes mots, tous mes mots dans la description qui suit. Arrivé a peine la veille au soir après une longue journée de plus de 130 km, je m’apprêtais à manger tranquillement aux alentours de midi quand tout a basculé.

Un camion de militaires passe devant moi avec le pare brise cassé. Les commerces sont encore ouverts pour la plupart, mais une tension est palpable dans la rue, avec de nombreux groupes de gens sur les trottoirs qui observent ce qui se passe. Qu’observent-t-ils ? Je m’approche. Un groupe de militaires bloque l’accès d’une rue qui permet de se rendre à un monastère. Lhassa, 14 mars 2008 Quelques jets de pierre en direction des trois camions de militaires stationnés dans la zone provoquent rapidement leur fuite, laissant les militaires, une petite vingtaine, seuls devant la foule. Les jets de pierre augmentent, finissant tous sur les boucliers des militaires bien esseulés. La foule finit par avancer, puis se met subitement à courir vers eux. Ils fuient. A partir de ce moment, tout s’est enchaîné très vite. Les militaires n’étant plus là, les cibles changent. D’abord un magasin chinois est détruit à coups de pierres. Puis tous les véhicules qui empruntent cette avenue et qui sont considérés comme appartenant à des chinois sont pris pour cible. Une moto est incendiée, son propriétaire assailli par une dizaine de tibétains dont la haine de l’occupant chinois s’exprime alors sans retenue. Puis ce sera le tour d’autres motards, de personnes à vélo, de passants... Quand plus personne ne passe dans cette avenue, et après qu’un drapeau chinois ait été brûlé au milieu de la route, un premier magasin (tous sont désormais fermés, rideaux de fer baissés) est attaqué. Le rideau de fer finit par céder sous les coups de pieds rageurs d’hommes, de femmes, de jeunes... Son contenu intégral est jeté au milieu de la route et incendié. Les gens dans leur grande majorité ne volent pas, mais détruisent et "libèrent l’espace", "récupèrent une partie du territoire" comme il m’a été dit. La foule se déchaîne alors contre des dizaines et des dizaines de magasins. Dans les rues brûlent d’innombrables foyers dans lesquels vélos, motos, vêtements, marchandises diverses, frigos et bouteilles de gaz... se consument avec le danger permanent d’explosions qui ne tardent pas à se faire entendre dans toute la ville. Malgré les "conseils" de plusieurs personnes parlant, étonnamment ici, un bon anglais et me recommandant de rentrer à mon hôtel (police en civil certainement) je décide de rester et de bouger dans ce centre-ville désormais à feu et à sang, avec mon appareil photo et ma caméra. Je vois alors des voitures renversées, la majorité d’entre elles étant en feu, un camion de militaires lui aussi mangé par les flammes, des tas de vélos (de véritables tas de plusieurs mètres de haut) eux aussi en proie aux flammes... La ville se couvre d’un épais nuage de fumée noire à travers lequel le soleil a du mal à percer. Le vent attise ces foyersLhassa, 14 mars 2008 géants. Beaucoup me demandent de prendre des photos. Nous sommes au maximum une dizaine d’occidentaux à être restés dans la rue, les autres étant retranchés dans les hôtels environnants. Régulièrement des mouvements de foule se produisent, suite à une explosion ou au passage d’un véhicule blindé. Au détour d’une rue, je me retrouve face à une charge des militaires qui remontent au pas de course une avenue. Les gaz lacrymogènes fusent. Je cours. Je tousse. Mes yeux rougissent. Je reprends mes esprits dans une ruelle, au milieu de nombreux tibétains dans la même situation que moi. Je crache. Noir. Plus tard, vers la fin de journée, je côtoie aussi la mort : plusieurs hommes en larmes portent un cadavre. Les cris et les pleurs succèdent au passage de ce convoi funèbre. On me demande de le prendre en photo. Je refuse expliquant les risques que je cours à mon tour à prendre tous ces clichés. Je ne sais pas toujours qui est qui. Policier en civil ? Tibétains ?... Je croise un anglais qui me dit s’être fait arrêter par la police et confisquer ses cartes mémoire d’appareil photo. La situation évolue, je sens que je dois rentrer mettre mes photos et vidéos à l’abri. Ce ne sera pas chose facile, les barrages de militaires étant désormais plus nombreux. Au milieu des flammes et dans une fumée épaisse qui parfois ne permet de voir qu’à quelques mètres, je finis par rejoindre l’hôtel désormais privé d’électricité et de téléphone (la rue étant une des rues particulièrement touchées). J’y reste bloqué deux jours, car dès le samedi, c’est le couvre-feu dans la ville et toute sortie est interdite, l’armée bloquant tout. Dimanche, ce sont des convois militaires énormes qui traversent la ville. Le calme est revenu, en apparence seulement, car la force ne résout rien. Les bilans diffèrent. Une dizaine de morts officiellement. 70 selon les tibétains exilés en Inde.

Lhassa a brûlé... d’une envie féroce de liberté.

Voir les photos dans la galerie "Tibet" (photos 62 à 75). (Personne n'est reconnaissable sur ces photos, c’est volontaire.)

Voir l'article paru dans Sud-Ouest le 20 mars 2008.

PS : Deux nouvelles ont été mises en ligne coup sur coup.

 
 
   
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