Carnet de route

3 au 10 juillet, Slovaquie

Après 2 jours de train pour rejoindre Vienne en Autiche, la randonnée commence sous la pluie et dans le froid. Nous sommes trois au départ car un ami, Sylvain Perrot, a décidé au dernier moment de nous accompagner durant le premier mois du périple. Nous pédalons à une moyenne de 100km par jour, entourés d’une végétation verdoyante et de cultures prospères d’où se distinguent nombre de petits villages. La partie centrale de la Slovaquie (Tatras), avec ses parcs naturels, nous laissera de bons souvenirs : en sortant des grands axes, la nature devient sauvage, les routes de plus en plus petites et la sensation de bien-être d’autant plus grande. Les inégalités entre les différentes classes sociales sont très visibles: les grandes villes regroupent les classes moyennes et riches, et les petits villages les populations plus modestes. Quant aux plus pauvres (en majorité des Tsiganes victimes du chômage et du racisme), ils vivent à la périphérie de ces petits villages dans des logements insalubres. Cette situation, présente tout au long de notre traversée de la slovaquie, nous a beaucoup marqués. Après 500km dans le froid et la pluie, une tendinite oblige Alexandre à arrêter, provisoirement (3 semaines), la randonnée. La déception est immense dans le groupe et le moral, déjà atteint par les intempéries, se retrouve bien bas. Dès le lendemain, avec le passage en Hongrie, une nouvelle randonnée commence, à deux désormais...


11 au 15 juillet, Hongrie-Roumanie

Après trois jours en Hongrie, accompagnés par un temps toujours aussi mauvais, nous rallions enfin la frontière roumaine. Comme la majorité des gens que nous avons interrogés en France, avant notre départ, un hongrois nous a prévenus : "Lot’s of bicycle problems in Romania". Ces recommandations nous resteront en tête pendant tout le séjour en Roumanie et notre prudence sera même parfois excessive. Malgré cela, nous avons beaucoup appris sur ce pays. Nous avons traversé l’ouest de la Roumanie, la partie la plus rurale du pays, qui rappelle nos campagnes d’autrefois, avec meules de foin (coupé à la faux) et boeufs (ou chevaux) attelés. Sur les grands axes routiers (seules routes goudronnées du pays), les vieux camions fumants côtoient ceux, plus récents, assurant le transport international, tout cela au milieu des charettes et des voitures surchargées...Les principales cultures sont le blé et le maïs mais les rendements sont faibles (techniques utilisées ancestrales). Quant aux commerces, seuls de tout petits magasins, où le choix est très limité, assurent la distribution. Sur le bord de la route, dans tous les villages, des gens vendent, par petites quantités, leurs diverses récoltes. Dans cette partie de la Roumanie, les habitants donnent l’impression d’à peine subvenir à leurs besoins. En effet, la pauvreté est flagrante et les regards envieux difficiles à éviter. Mais les contacts que nous avons eu avec les gens nous ont montré qu’ils restent heureux et bons vivants malgré tout, ce qui les rend encore plus attachants.


16 au 20 juillet, Bulgarie

Nous devions nous méfier du passage du Danube (frontière naturelle entre la Roumanie et la Bulgarie) à cause du racket fréquent à cet endroit : mis à part un taux de change douteux sur notre monnaie roumaine, tout s’est bien passé. Devant tant de réussite depuis de nombreux jours, notre confiance s’est renforcée. Cela nous a permis de profiter davantage du paysage, ni aride, ni pelé, varié à l’infini, cocktail de montagnes, de forêts de sapins, de plaines fertiles, de rivières et de vallées perdues. L’ouest de la Bulgarie est, comme en Roumanie, trés rural (vignes, maïs, blé...) malgré son caractère montagneux (massifs à plus de 2500 m d’altitude). Sofia, construite au pied du mont Vitocha (excentrée par rapport au reste du pays), est un décor invraisemblable d’immeubles staliniens des années 50, de façades austro-hongroises splendides et oubliées, de tramways jaunes et de statues triomphales. Après quelques jours d’efforts intenses (vent contraire) compensés par la beauté du paysage (nous longeons le plus haut massif bulgare), nous arrivons enfin à la frontière grecque. Nous avons traversé les pays de l’Est à vélo sans dommage, ce pari un peu fou est gagné, nous sommes heureux !... Il reste encore un peu plus d’un mois de vélo, mais le plus dur, moralement, est fait.


21 au 25 juillet, Grèce

Arriver en Grèce représente un peu à nos yeux un retour "chez nous", à la civilisation occidentale. Désormais, une chaleur étouffante nous accable comme l’a fait la pluie en Slovaquie. Notre rythme se trouve totalement réorganisé : en effet, il est impossible de rouler entre 13h et 17h. Le nord de la Grèce est trés peu touristique (beaucoup de gens ont été surpris de nous voir dans cette région) et très montagneux (Olimbos: 2917 m). Notre trajet est une succession de cols qui nous offrent des panoramas exeptionnels à leurs sommets. Tout aurait été parfait sans une immense plaine surindustrialisée (autour de Kozani) qui a agressé nos yeux pendant quelques dizaines de kilomètres. Un matin, Sylvain se sent fiévreux. Un médecin lui prescrit 2 jours d’hospitalisation !: il doit se reposer et a besoin de bien manger. Tout est prêt pour la séparation quand Sylvain change d’avis: il ne lui reste que 4 jours à tenir, il est finalement décidé à aller jusqu’au bout de ses forces. Sylvain tient le coup et on arrive ensemble à Igoumenitsa, port d’où partent les ferry pour l’Italie. Comme prévu, la randonnée s’arrête là pour Sylvain. Quant à moi, il me reste à traverser le sud de l’Italie (6 jours de vélo) pour rejoindre Alexandre et d’autres amis en Sicile.


26 juillet au 12 août, pénisule italienne, Sicile

Après le départ de Sylvain, la traversée du sud de l’Italie en solitaire a été dure moralement. Certainement le relâchement de toute la pression accumulée pendant un mois. Je n’ai pris aucune photo durant cette semaine, non pas que les paysages n’en valaient pas la peine mais simplement par un manque de volonté dû à la fatigue morale. Retrouver, à Villa S.Giovanni, Alexandre et quatre autres amis (François, Mathieu, Benjamin et Damien) a été un réel plaisir. Le tour de Sicile a commencé par la découverte de l’Etna, sommet culminant à 3346m ! Les pentes du volcan sont recouvertes à perte de vue de petites roches noires trés légères issues des précédentes éruptions. On distingue aussi très nettement d’anciennes coulées de lave et les dégâts qu’elles ont causé sur les constructions présentes sur les flancs du volcan. Nous avons alterné la visite de petits villages pittoresques et peu touristiques avec celle de grosses villes comme Agrigente ("la vallée des temples") ou Palerme (la ville de tous les contrastes...). L’intérieur de la Sicile, entre Agrigente et Palerme nous a séduit par ses étendues arides de moyenne montagne où les lacs embellissent le paysage mais l'énorme quantité de détritus, plastiques ou autres, est venu mettre un bémol à notre enthousiasme...


13 au 20 août, Sardaigne

Nous arrivons le 16 août à Cagliari, soulagés. En effet la veille au soir, 30 minutes avant l’unique départ hebdomadaire pour la Sardaigne, nous n’avions toujours pas de places et étions dans l’attente d’éventuels désistements. La fatigue nous pousse à nous séparer : Alexandre, dont le genou est toujours douloureux, François, Mathieu, et Benjamin prennent le train jusqu’au nord où nous les rejoindrons (Damien et moi) quelques jours plus tard. Dès les premiers kilomètres en terre sarde, nous sommes surpris et charmés par le caractère très sauvage de l’île. La route serpente dans la moyenne montagne et seuls quelques minuscules villages nous rappellent que nous sommes bien sur une terre habitée. Le centre, plus montagneux (Monti Del Gennargentu : 1834 m), est tout aussi désert, ce qui lui donne encore plus d’attrait. C’est le royaume des chênes-lièges et des figuiers de barbarie. Nous poursuivons la traversée de la Sardaigne par la côte Nord-Est, qui contraste totalement avec ce que nous avons vu auparavant: stations balnéaires trés fréquentées, urbanisation sauvage... Cela nous rappelle la "Costa Brava" espagnole. Nous retrouvons les autres le 20 août à Santa Teresa Gallura pour embarquer vers la Corse. Je reviens en France après deux mois à l’étranger, c'est une première pour moi, les sensations ressenties sont particulières. C’est un mélange de joie et de peine : joie d’avoir accompli les objectifs fixés et peine de devoir bientôt abandonner ce mode de vie tellement enrichissant...


21 au 28 août, Corse

Certains d’entre nous connaissaient déjà la Corse mais avaient envie d’y retourner. Aujourd’hui, nous avons tous envie d’y repartir ! Nous avons longé la côte sud-ouest entre Bonifacio (construite au bord de falaises uniques) et Ajaccio en passant par des villes aussi différentes que Sartène (ville accrochée au flanc de la montagne) et Propriano (station balnéaire sur le golfe de Valinco). Entre Ajaccio et le désert des Agriates, Alexandre, toujours souffrant, et nos amis, ont pris le petit train pittoresque (seule ligne de chemin de fer en Corse) tandis que je continuais à vélo sur le bord de mer jusqu’à Porto avant de passer par le col de Vergio (1477 m) et l’intérieur pour finalement les rejoindre quelques jours plus tard. L’arrivée à Bastia marque la fin d’un périple long de 4500 km qui restera longtemps gravé dans nos mémoires...


 

Complément-anecdote: "un simple match de foot..."

Cet été 98 a été tout sauf banal en France... et nous étions loin, à vélo, dans des pays où la télé ne se trouvait pas à tous les coins de rue. Nous avons malgré tout réussi à suivre l'épopée de notre équipe de foot, mais au prix de quels efforts!

Le jour de la finale, nous étions en Roumanie, perdus dans la campagne, avec aucune grande ville atteignable à la fin de notre journée de vélo. Sylvain n'aimait pas le foot. La finale ne lui aurait pas trop manquée... Mais de mon côté, plus l'après midi avançait, plus je pensais à ce match historique (vérité incontestable, que l'on aime ou pas le foot !...) et trouver une télé à tout prix devenait une obsession. Nous avons commencé à chercher un endroit pour la nuit plus tôt que d'habitude, chacun notre tour quittant la grande route pour rejoindre une maison, au loin, pour savoir si nous pouvions y dormir ET s'il y avait une télé... Echec total... Ma déception était grande, jusqu'à ce que nous tombions sur un "hôtel", en bord de route. Grande bâtisse, laide et inhospitalière mais, à la tombée de la nuit, notre dernier espoir!

Après avoir expliqué gestuellement notre situation et nos souhaits, un homme nous a reproché d'être là, ne comprenant pas comment nous pouvions être ici, alors que nous avions la chance énorme d'avoir la coupe du monde de foot dans notre pays!... En plus d'être légèrement agressif, il ne réglait en rien mon souci majeur du moment... Une femme finit par nous montrer une chambre... mais sans télé !! Je recommence alors mon explication tant bien que mal, et on arrive enfin à se comprendre... l'heure du match approche, l'espoir est là ; en effet, dans la chambre qu'elle nous propose, il n'y a pas d'eau courante, pas de douche, des toilettes extrêment sales, et le "mobilier" et les murs sont à l'avenant MAIS... il y a une télé !!!, télé d'un autre âge, mais télé quand même, et c'est bien le principal n'est ce pas ! ;-)

Malheureusement (que de rebondissements au cours de cette journée !), de la télé ne sort qu'un fil sans prise, un simple fil, avec les deux bouts dénudés... On a pris la chambre, on y a cru, même Sylvain, qui commençait se prendre au jeu, et là, à quelques minutes du coup d'envoi, re-déception énorme... Perdu pour perdu, je sépare les fils, les dénude correctement et les pose directement dans la prise... quelques étincelles plus tard, la télé grésille, sort de son coma, et, après presque une minute de suspense le plus intense qui soit, une image apparaît ! Nous sommes presque au bout ! J'essaye alors de changer de chaîne... impossible ! C'est alors que commencent les minutes les plus longues de la soirée... est-ce la bonne chaîne ?... A l'apparition de "footix", la mascotte-coq ridicule, en noir et blanc sur l'écran, on est heureux, réellement ! Et on l'a jamais autant aimé, cette mascotte... Le coup d'envoi est donné, sous nos yeux, une minute après... Le bonheur, parfois, tient à peu de choses... Pour le reste, vous savez tous ce qui s'est passé, nous l'avons vécu comme vous et on s'est pris dans les bras à la fin du match, Sylvain se surprenant lui même à vibrer autant pour... un simple match de foot!

 

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